Sébastien Kirch

Portrait d'artiste

Sebastien Kirch

D’or et de pigments

Texte de Yolande Guérout

 

«…les formes qui vivent dans l’espace et dans la matière vivent dans l’esprit. Mais la question est de savoir ce qu’elles y font, comment elles s’y comportent, d’où elles viennent, par quels états elles passent et quelle est enfin leur agitation ou leur activité avant de prendre corps… » 

Henri Focillon, Vie des formes, 1943, Presses Universitaires de France. 

Tout d’abord, rien ne semble être laissé au hasard tant le protocole de départ posé par Sébastien Kirch paraît rigoureux. C’est parce que l’artiste perçoit le potentiel qui est à l’œuvre dans la contrainte, qu’il la renouvelle, pour quelle devienne le cadre de son expérience artistique.  En mettant en place un rituel savamment orchestré, l’artiste peut se concentrer sur les variations qui s’opèrent dans l’ensemble de sa peinture. Cette répétition des gestes lui permet de capter dans ses séries, les moindres nuances de son œuvre. 

Le processus démarre lentement, dès l’achat du support qui est identifié par un numéro d’adoption puis intégré au catalogue. Ce support repose alors, dans l’atelier, en attente de sa prochaine naissance nous explique l’artiste, jusqu’à ce que de longues bandes verticales uniformes soient apposées sur celui-ci. Elles viennent offrir à l’intérieur de cet espace structuré, un terrain d’exploration de la couleur. 

Ensuite, refusant une certaine séduction de l’aplat coloré, Sébastien Kirch vient, dans un geste spontané, par la projection de solvant, maltraiter, agresser sa peinture.  C’est à ce moment-là que l’artiste, agenouillé devant sa toile, fasciné par l’alchimie, s’arrête, se détache de son œuvre. En dégraissant la peinture, il a suscité une lutte entre le gras et le maigre pour atteindre un autre état de la couleur-matière qui se délave, se décompose, s’irise en un amas de cellules presque organiques qui prolifèrent, à peine contenues par la grille et ses limites. De nouvelles formes aléatoires se dessinent passant par différentes phases de métamorphose que l’artiste nomme « dissolution cellulaire », « alvéolaire » puis « racinaire ». Pour un temps, il accepte d’être dépossédé de son œuvre et laisse la peinture s’animer d’une vie propre, de forces et de formes. La couleur devient mobile, énergie vitale et changeante. 

Cet imprévu de la couleur, Sébastien Kirch l’accueille, cependant, il doit maintenir un équilibre entre charge pigmentaire et dissolution pour garder les traces de cette vie intense. Il termine en maintenant la toile verticalement pour accélérer le processus de transformation et provoquer d’autres mélanges, le hasard achevant la toile. 

Ainsi, l’artiste nous explique que les toiles appelées «one shot» trouvent leur accomplissement dès le premier jus. Tandis que « les toiles qui résistent », celles qui sont jugées pas assez satisfaisantes auront un second passage. Jonchant le sol, ces supports repartiront à nouveau au jus et seront à nouveau bousculés, attaqués pour nous livrer le secret de leur sédimentation. En dégraissant la toile, l’artiste laisse apparaître les couches colorées sous-jacentes. Le processus de surimpression devient alors lisible grâce aux légers décalages produits lors des différents passages. 

Dans ce process de travail par stratification, Sébastien Kirch réussit ainsi à faire vibrer la couleur qui se sublime dans le glacis. Caractérisée par son épaisseur, résistante et opaque au regard, la couleur s’agglomère par endroits, créant des zones de densité ou alors elle s’allège et nous permet ainsi de pénétrer jusqu’au grain de la toile pour devenir une fine pellicule colorée. La fuite du pigment dégage des zones de « silence rétinien » précise Sébastien Kirch en se référant à Simon Hantaï. Vidée à certains endroits de sa couleur, la toile donne la sensation d’être éclairée de l’intérieur, traversée de lignes de lumière. 

L’artiste éblouit la surface en la dématérialisant avec des voiles de poussières de pigments dorés, matière extraite du monde souterrain et appartenant en même temps au monde du divin. Il nous ramène ainsi à quelque chose de profond, enfoui en chacun de nous, provoquant cette coïncidence entre matière et esprit.

Finalement, Sébastien Kirch nous fait accéder à la genèse de la peinture avec la préparation des jus colorés au cours de laquelle il essaie d’en comprendre les secrets, les recettes oubliées. Il nous ramène de la même façon aux fondamentaux, en nous livrant la couleur comme matière vivante sur la toile. L’artiste nous éclaire à travers sa peinture sur les grandes lois de l’univers, sur ses phénomènes nous faisant basculer alternativement de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Aussi, dans l’acte de peindre, l’artiste engage-t-il un processus analogue à celui du cosmos, une forme de création originelle. Cette recherche à travers les phénomènes micro et macroscopiques, permet d’accéder à une plus fine compréhension du monde, en rendant accessible au regard, l’univers mais aussi ce que l’on porte en soi, ce qui nous constitue. La peinture devient alors pour le spectateur, objet de connaissance du monde et de soi-même.

La couleur constitue aussi le médium qui permet à Sébastien Kirch de construire un univers, dans lequel l’artiste peut s’immerger et accéder à une plénitude. Il peut ainsi déclencher, à volonté, l’expérience picturale pour capter le potentiel du moment présent, tout en pensant à la prochaine peinture. Peindre revêt, pour l’artiste, une signification existentielle. C’est une manière de lutter contre la perte du temps, ce qui échappe à notre condition humaine. 

Yolande Guérout – Professor of Visual Art & Visual Artist 

English translation by Patricia Murray / Extract

 

The artist can focus on the variations with occur throughout his paintings by setting up a carefully arranged ritual.

 

The artist explains that the process begins slowly with the purchase of the chosen support with then patiently awaits its future transformation in the studio when long identical vertical bands are applied to it.

 

Then, rather than using a flat color block, with a spontaneous gesture, Sébastien Kirch deliberately « mistreats » his painting by spraying it with solvant. It’s at this precise moment that, fascinated by the resulting chemical reaction, the artist steps back from his painting. By degreasing the paint, he has triggered a conflict between the oil and the thinned paint resulting in another vision of the color / material which fades, breaks down, become iridescent and turns into a cluster of almost organic proliferating cells barely contained within the confines of the frame.

 

For some time, he choses to dissociate himself from his work thereby leaving the painting to take on its own life force and form. The colour becomes mobile and full of ever-changing vital energy.

 

Finally, he holds the canvas in a vertical position to speed up the transformation and to create other mixtures letting chance complete the painting.

 

By using this method of superimposed layers, Sébastien Kirch succeeds in bringing the colour to vibrant life which is then enhanced by the varnishing process.

 

Characterized by its thickness and its resilient and opaque aspect, in places the colour forms denser zones and in others thins out to create a fine coloured film through which one can discern the grain of the canvas. The artist renders the surface ethereal by applying misty layers of fine golden pigment particles extracted from the depths of the underground world yet at the same time belonging to the heavens above. By creating that union between matter and the mind, he thus arouses an emotion deep within us.

 

 

 

 

L'atelier
Fraenckel-herzog

25 Rue Camille Randoing
76500 Elbeuf-sur-Seine

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